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décret n’a pas frappé les contemporains et n’a pas été remarqué de ceux qui écrivaient alors l’histoire, c’est que le changement dont il était l’expression légale était achevé depuis longtemps. L’inégalité entre les citoyens et les sujets s’était affaiblie à chaque génération et s’était peu à peu effacée. Le décret put passer inaperçu, sous le voile d’une mesure fiscale ; il proclamait et faisait passer dans le domaine du droit ce qui était déjà un fait accompli.

Le titre de citoyen commença alors à tomber en désuétude, ou, s’il fut encore employé, ce fut pour désigner la condition d’homme libre opposée à celle d’esclave. A partir de ce temps-là, tout ce qui faisait partie de l’empire romain, depuis l’Espagne jusqu’à l’Euphrate, forma véritablement un seul peuple et un seul État. La distinction des cités avait disparu ; celle des nations n’apparaissait encore que faiblement. Tous les habitants de cet immense empire étaient également romains. Le Gaulois abandonna son nom de Gaulois et prit avec empressement celui de Romain ; ainsi fit l’Espagnol ; ainsi fit l’habitant de la Thrace ou de la Syrie. Il n’y eut plus qu’un seul nom, qu’une seule patrie, qu’un seul gouvernement, qu’un seul droit.

On voit combien la cité romaine s’était développée d’âge en âge. A l’origine elle n’avait contenu que des patriciens et des clients ; ensuite la classe plébéienne y avait pénétré, puis les Latins, puis les Italiens ; enfin vinrent les provinciaux. La conquête n’avait pas suffi à opérer ce grand changement. Il avait fallu la lente transformation des idées, les concessions prudentes mais non interrompues des empereurs, et l’empressement des intérêts individuels. Alors toutes les cités disparurent peu à peu ; et la cité

    (Code, VII, 25 ; VII, 31 ; X, 39 ; Digeste, liv. L, tit. 1). Ainsi la ville de Tyr en Phénicie, encore après Caracalla, jouissait par privilège du droit italique (Digeste, IV, 15) ; le maintien de cette distinction s’explique par l’intérêt des empereurs, qui ne voulaient pas se priver des tributs que le sol provincial payait au fisc.