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règles uniformes, ni rituel commun. Chaque famille avait l’indépendance la plus complète. Nulle puissance extérieure n’avait le droit de régler son culte ou sa croyance. Il n’y avait pas d’autre prêtre que le père ; comme prêtre, il ne connaissait aucune hiérarchie. Le pontife de Rome ou l’archonte d’Athènes pouvait bien s’assurer que le père de famille accomplissait tous ses rites religieux, mais il n’avait pas le droit de lui commander la moindre modification. Suo quisque rite sacrificia faciat, telle était la règle absolue[1]. Chaque famille avait ses cérémonies qui lui étaient propres, ses fêtes particulières, ses formules de prière et ses hymnes[2]. Le père, seul interprète et seul pontife de sa religion, avait seul le pouvoir de l’enseigner, et ne pouvait l’enseigner qu’à son fils. Les rites, les termes de la prière, les chants, qui faisaient partie essentielle de cette religion domestique, étaient un patrimoine, une propriété sacrée, que la famille ne partageait avec personne et qu’il était même interdit de révéler aux étrangers. Il en était ainsi dans l’Inde : « Je suis fort contre mes ennemis, dit le brahmane, des chants que je tiens de ma famille et que mon père m’a transmis[3]. »

Ainsi la religion ne résidait pas dans les temples, mais dans la maison, chacun avait ses dieux ; chaque dieu ne protégeait qu’une famille et n’était dieu que dans une maison. On ne peut pas raisonnablement supposer qu’une religion de ce caractère ait été révélée aux hommes par l’imagination puissante de l’un d’entre eux ou qu’elle leur ait été enseignée par une caste de prêtres. Elle est née spontanément dans l’esprit humain ; son berceau a été la famille ; chaque famille s’est fait ses dieux.

  1. Varron, De ling. lat., VII, 88.
  2. Hésiode, Opera, 153. Macrobe, Sat., I, 10. Cicéron, De legib., II, 11.
  3. Rig Véda, tr. Langlois, t. I, p. 113. Les lois de Manou mentionnent souvent les rites particuliers à chaque famille : VIII, 3 ; IX, 7.