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il y eût des lois entre lui et ses administrés, il fallait qu’il les eût faites lui-même ; car lui seul pouvait se lier. Aussi l’imperium dont il était revêtu, comprenait-il la puissance législative. De là vient que les gouverneurs eurent le droit et contractèrent l’habitude de publier à leur entrée dans la province un code de lois, qu’ils appelaient leur Édit, et auquel ils s’engageaient moralement à se conformer. Mais comme les gouverneurs changeaient tous les ans, ces codes changèrent aussi chaque année, par la raison que la loi n’avait sa source que dans la volonté de l’homme momentanément revêtu de l’imperium. Ce principe était si rigoureusement appliqué que, lorsqu’un jugement avait été prononcé par le gouverneur, mais n’avait pas été entièrement exécuté au moment de son départ de la province, l’arrivée du successeur annulait de plein droit ce jugement, et la procédure était à recommencer.[1]

Telle était l’omnipotence du gouverneur. Il était la loi vivante. Quant à invoquer la justice romaine contre ses violences ou ses crimes, les provinciaux ne le pouvaient que s’ils trouvaient un citoyen romain qui voulût leur servir de patron.[2] Car d’eux-mêmes ils n’avaient pas le droit d’alléguer la loi de la cité ni de s’adresser à ses tribunaux. Ils étaient des étrangers ; la langue juridique et officielle les appelait peregrini ; tout ce que la loi disait du hostis continuait à s’appliquer à eux.

La situation légale des habitants de l’empire apparaît clairement dans les écrits des jurisconsultes romains. On y voit que les peuples sont considérés comme n’ayant plus leurs lois propres et n’ayant pas encore les lois romaines. Pour eux le droit n’existe donc en aucune façon. Aux yeux du jurisconsulte romain, le provincial n’est ni mari, ni père, c’

  1. Gaius, IV, 103, 105.
  2. Cicéron, De orat., I, 9.