Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturel et bien puissant, car il apparaît comme principe d’une religion à l’origine de presque toutes les sociétés humaines ; on le trouve chez les Chinois comme chez les anciens Gètes et les Scythes, chez les peuplades de l’Afrique comme chez celles du Nouveau Monde[1].

Le feu sacré, qui était associé si étroitement au culte des morts, avait aussi pour caractère essentiel d’appartenir en propre à chaque famille. Il représentait les ancêtres[2] ; il était la providence d’une famille, et n’avait rien de commun avec le feu de la famille voisine qui était une autre providence. Chaque foyer protégeait les siens et repoussait l’étranger.

Toute cette religion était renfermée dans l’enceinte de chaque maison. Le culte n’en était pas public. Toutes les cérémonies au contraire en étaient tenues fort secrètes. Accomplies au milieu de la famille seule, elles étaient cachées à l’étranger[3]. Le foyer n’était jamais placé ni hors de la maison ni même près de la porte extérieure, où on l’aurait trop bien vu. Les Grecs le plaçaient toujours dans une enceinte[4] qui le protégeait contre le contact et même le regard des profanes. Les Romains le cachaient au milieu de leur maison. Tous ces dieux, foyer, Lares, Mânes, on les appelait les dieux cachés, ou les dieux de l’intérieur[5]. Pour tous les actes de cette religion il fallait le secret ;[6] ; qu’une cérémonie fut aperçue par un étranger, elle était troublée, souillée, funestée par ce seul regard.

Pour cette religion domestique, il n’y avait ni

  1. Chez les Étrusques et les Romains il était d’usage que chaque famille religieuse gardât les images de ses ancêtres rangées autour de l’atrium. Ces images étaient-elles de simples portraits de famille ou des idoles ?
  2. Έστία πατρώα, focus patrius. De même dans les Védas Agni est encore invoqué quelquefois comme dieu domestique.
  3. Isée, VIII, 17 ; 18.
  4. Cette enceinte était appelée Ερχος
  5. Θεοί μύχιοι, dii Penates
  6. Cicéron, De arusp. resp., 17.