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les ans, comme dans les cités démocratiques de la Grèce ; il était à vie, et se recrutait à peu près lui-même ; il était véritablement un corps oligarchique.

Les mœurs étaient encore plus aristocratiques que les institutions. Les sénateurs avaient des places réservées au théâtre. Les riches seuls servaient dans la cavalerie. Les grades de l’armée étaient en grande partie réservés aux jeunes gens des grandes familles ; Scipion n’avait pas seize ans qu’il commandait déjà un escadron.

La domination de la classe riche se soutint à Rome plus longtemps que dans aucune autre ville. Cela tient à deux causes. L’une est que l’on fit de grandes conquêtes, et que les profits en furent pour la classe qui était déjà riche ; toutes les terres enlevées aux vaincus furent possédées par elle ; elle s’empara du commerce des pays conquis, et y joignit les énormes bénéfices de la perception des impôts et de l’administration des provinces. Ces familles, s’enrichissant ainsi à chaque génération, devinrent démesurément opulentes, et chacune d’elles fut une puissance vis-à-vis du peuple. L’autre cause était que le Romain, même le plus pauvre, avait un respect inné pour la richesse. Alors que la vraie clientèle avait depuis longtemps disparu, elle fut comme ressuscitée sous la forme d’un hommage rendu aux grandes fortunes ; et l’usage s’établit que les prolétaires allassent chaque matin saluer les riches.

Ce n’est pas que la lutte des riches et des pauvres ne se soit vue à Rome comme dans toutes les cités. Mais elle ne commença qu’au temps des Gracques, c’est-à-dire après que la conquête était presque achevée. D’ailleurs cette lutte n’eut jamais à Rome le caractère de violence qu’elle avait partout ailleurs. Le bas peuple de Rome ne convoita pas très ardemment la richesse ; il aida mollement les Gracques ; il se refusa à croire que ces réformateurs travaillassent pour