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trouvait les lois mauvaises n’avait plus rien qui l’attachât à elle.

Le patriotisme municipal s’affaiblit ainsi et périt dans les âmes. L’opinion de chaque homme lui fut plus sacrée que sa patrie, et le triomphe de sa faction lui devint beaucoup plus cher que la grandeur ou la gloire de sa cité. Chacun en vint à préférer à sa ville natale, s’il n’y trouvait pas les institutions qu’il aimait, telle autre ville où il voyait ces institutions en vigueur. On commença alors à émigrer plus volontiers ; on redouta moins l’exil. Qu’importait-il d’être exclu du prytanée et d’être privé de l’eau lustrale ? On ne pensait plus guère aux dieux protecteurs, et l’on s’accoutumait facilement à se passer de la patrie.

De là à s’armer contre elle, il n’y avait pas très loin. On s’allia à une ville ennemie pour faire triompher son parti dans la sienne. De deux Argiens, l’un souhaitait un gouvernement aristocratique, il aimait donc mieux Sparte qu’Argos ; l’autre préférait la démocratie, et il aimait Athènes. Ni l’un ni l’autre ne tenait très fort à l’indépendance de sa cité, et ne répugnait beaucoup à se dire le sujet d’une autre ville, pourvu que cette ville soutînt sa faction dans Argos. On voit clairement dans Thucydide et dans Xénophon que c’est cette disposition des esprits qui engendra et fit durer la guerre du Péloponnèse. A Platée, les riches étaient du partide Thèbes et de Lacédémone, les démocrates étaient du parti d’Athènes. A Corcyre, la faction populaire était pour Athènes, et l’aristocratie pour Sparte.[1] Athènes avait des alliés dans toutes les villes du Péloponnèse, et Sparte en avait dans toutes les villes ioniennes. Thucydide et Xénophon s’accordent à dire qu’il n’y avait pas une seule cité où le peuple ne fût favorable aux Athéniens et l’aristocratie aux Spartiates.[2] Cette guerre

  1. Thucydide, II, 2 ; III, 65, 70 ; V, 29, 31, 76.
  2. Thucydide, III, 47. Xénophon, Helléniques, VI, 3.