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Un des traits remarquables de la politique de Rome, c’est qu’elle attirait à elle tous les cultes des cités voisines. Elle s’attachait autant à conquérir les dieux que les villes. Elle s’empara d’une Junon de Veji, d’un Jupiter de Préneste, d’une Minerve de Falisques, d’une Junon de Lanuvium, d’une Vénus des Samnites et de beaucoup d’autres que nous ne connaissons pas.[1] Car c’était l’usage à Rome, dit un ancien[2], de faire entrer chez elle les religions des villes vaincues ; tantôt elle les répartissait parmi ses gentes, et tantôt elle leur donnait place dans sa religion nationale. Montesquieu loue les Romains, comme d’un raffinement d’habile politique, de n’avoir pas imposé leurs dieux aux peuples vaincus. Mais cela eût été absolument contraire à leurs idées et à celles de tous les anciens. Rome conquérait les dieux des vaincus, et ne leur donnait pas les siens. Elle gardait pour soi ses protecteurs, et travaillait même à en augmenter le nombre. Elle tenait à posséder plus de cultes et plus de dieux tutélaires qu’aucune autre cité.

Comme d’ailleurs ces cultes et ces dieux étaient, pour la plupart, pris aux vaincus, Rome était par eux en communion religieuse avec tous les peuples. Les liens d’origine, la conquête du connubium, celle de la présidence des féries latines, celle des dieux vaincus, le droit qu’elle prétendait avoir de sacrifier à Olympie et à Delphes, étaient autant de moyens par lesquels Rome préparait sa domination. Comme toutes les villes, elle avait sa religion municipale, source de son patriotisme ; mais elle était la seule ville qui fît servir cette religion à son agrandissement. Tandis que, par la religion, les autres villes étaient

  1. Tite-Live, V, 21, 22 ; VI, 29. Ovide, Fastes, III, 837, 843. Plutarque, Parall. des hist. gr. et rom., 75.
  2. Cincius, cité par Arnobe, adv. gentes, III, 38.