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qui possédaient de l’argent, massacrait les uns, exilait les autres, et distribuait leurs biens entre les pauvres. A Messène, dès que le parti populaire prit le dessus, il exila les riches et partagea leurs terres.

Les classes élevées n’ont jamais eu chez les anciens asse d’intelligence ni assez d’habileté pour tourner les pauvres vers le travail et les aider à sortir honorablement de la misère et de la corruption. Quelques hommes de cœur l’ont essayé ; ils n’y ont pas réussi. Il résultait de là que les cités flottaient toujours entre deux révolutions, l’une qui dépouillait les riches, l’autre qui les remettait en possession de leur fortune. Cela dura depuis la guerre du Péloponnèse jusqu’à la conquête de la Grèce par les Romains.

Dans chaque cité le riche et le pauvre étaient deux ennemis qui vivaient à côté l’un de l’autre, l’un convoitant la richesse, l’autre voyant sa richesse convoitée. Entre eux nulle relation, nul service, nul travail qui les unît. Le pauvre ne pouvait acquérir la richesse qu’en dépouillant le riche. Le riche ne pouvait défendre son bien que par une extrême habileté ou par la force. Ils se regardaient d’un œil haineux. C’était dans chaque ville une double conspiration : les pauvres conspiraient par cupidité, les riches par peur. Aristote dit que les riches prononçaient entre eux ce serment : Je jure d’être toujours l’ennemi du peuple, et de lui faire tout le mal que je pourrai.[1] Il n’est pas possible de dire lequel des deux partis commit le plus de cruautés et de crimes. Les haines effaçaient dans le cœur tout sentiment d’humanité. Il y eut à Milet une guerre entre les riches et les pauvres. Ceux-ci eurent d’abord le dessus et forcèrent les riches à s’enfuir de la ville. Mais ensuite, regrettant de n’avoir pu les égorger, ils prirent leurs

  1. Aristote, Politique, VIII, 7, 19 (V, 7). Plutarque, Lysandre, 19.