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buait une puissance surhumaine et divine. Le souvenir d’un de ces morts sacrés était toujours attaché au foyer. En adorant l’un, on ne pouvait pas oublier l’autre. Ils étaient associés dans le respect des hommes et dans leurs prières. Les descendants, quand ils parlaient du foyer, rappelaient volontiers le nom de l’ancêtre : « Quitte cette place, dit Oreste à sa sœur, et avance vers l’antique foyer de Pélops pour entendre mes paroles.[1]. » De même, Énée, parlant du foyer qu’il transporte à travers les mers, le désigne par le nom de Lare d’Assaracus, comme s’il voyait dans ce foyer l’âme de son ancêtre.

Le grammairien Servius, qui était fort instruit des antiquités grecques et romaines (on les étudiait de son temps beaucoup plus qu’au temps de Cicéron), dit que c’était un usage très ancien d’ensevelir les morts dans les maisons, et il ajoute : « Par suite de cet usage, c’est aussi dans les maisons qu’on honore les Lares et les Pénates[2]. » Cette phrase établit nettement une antique relation entre le culte des morts et le foyer. On peut donc penser que le foyer domestique n’a été à l’origine que le symbole du culte des morts, que sous cette pierre du foyer un ancêtre reposait, que le feu y était allumé pour l’honorer, et que ce feu semblait entretenir la vie en lui ou représentait son âme toujours vigilante.

Ce n’est là qu’une conjecture, et les preuves nous manquent. Mais ce qui est certain, c’est que les plus anciennes générations, dans la race d’où sont sortis les Grecs et les Romains, ont eu le culte des morts et du foyer, antique religion qui ne prenait pas ses dieux dans la nature physique, mais dans l’homme lui-même et qui avait pour objet d’adoration l’être invisible qui est en nous, la force morale et pensante qui anime et qui gouverne notre corps.

  1. Euripide, Oreste, 1140-1142.
  2. Servius, in Æneid., V, 84 : VI, 152. Voy. Platon, Minos, p. 315.