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souvenait que le feu du foyer était de beaucoup antérieur à ces dieux-là. Il avait pris, depuis nombre de siècles, la première place dans le culte, et les dieux plus nouveaux et plus grands n’avaient pas pu l’en déposséder.

Les symboles de cette religion se modifièrent suivant les âges. Quand les populations de la Grèce et de l’Italie prirent l’habitude de se représenter leurs dieux comme des personnes et de donner à chacun d’eux un nom propre et une forme humaine, le vieux culte du foyer subit la loi commune que l’intelligence humaine, dans cette période, imposait à toute religion. L’autel du feu sacré fut personnifié ; on l’appela έστία, Vesta ; le nom fut le même en latin et en grec, et ne fut pas d’ailleurs autre chose que le mot qui dans la langue commune et primitive désignait un autel. Par un procédé assez ordinaire, du nom commun on avait fait un nom propre. Une légende se forma peu à peu. On se figura cette divinité sous les traits d’une femme, parce que le mot qui désignait l’autel était du genre féminin. On alla même jusqu’à représenter cette déesse par des statues. Mais on ne put jamais effacer la trace de la croyance primitive d’après laquelle cette divinité était simplement le feu de l’autel ; et Ovide lui-même était forcé de convenir que Vesta n’était pas autre chose qu’une flamme vivante[1].

Si nous rapprochons ce culte du feu sacré du culte des morts, dont nous parlions tout à l’heure, une relation étroite nous apparaît entre eux.

Remarquons d’abord que ce feu qui était entretenu sur le foyer n’est pas, dans la pensée des hommes, le feu de la nature matérielle. Ce qu’on voit en lui, ce n’est pas l’élément purement physique qui échauffe ou qui brûle, qui transforme les corps, fond les métaux et se fait le puissant instru-

  1. Ovide, Fastes, VI, 291.