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suffisait même de se trouver dans le rayon où leur parole se faisait entendre ; cette parole était irrésistible, et il fallait se soumettre, fût-on patricien ou consul.

Le tribun n’avait d’ailleurs aucune autorité politique. N’étant pas magistrat, il ne pouvait convoquer ni les curies ni les centuries. Il n’avait aucune proposition à faire dans le Sénat ; on ne pensait même pas, à l’origine, qu’il y pût paraître. Il n’avait rien de commun avec la véritable cité, c’est-à-dire avec la cité patricienne, où on ne lui reconnaissait aucune autorité. Il n’était pas tribun du peuple, il était tribun de la plèbe.

Il y avait donc, comme par le passé, deux sociétés dans Rome, la cité et la plèbe : l’une fortement organisée, ayant des lois, des magistrats, un sénat ; l’autre qui restait une multitude sans droit ni loi, mais qui dans ses tribuns inviolables trouvait des protecteurs et des juges.

Dans les années qui suivent, on peut voir comme les tribuns sont hardis, et quelles licences imprévues ils se permettent. Rien ne les autorisait à convoquer le peuple ; ils le convoquent. Rien ne les appelait au Sénat ; ils s’asseyent d’abord à la porte de la salle, plus tard dans l’intérieur. Rien ne leur donnait le droit de juger des patriciens ; ils les jugent et les condamnent. C’était la suite de cette inviolabilité qui s’attachait à leur personne sacro-sainte. Toute force tombait devant eux. Le patriciat s’était désarmé le jour où il avait prononcé avec les rites solennels que quiconque toucherait un tribun serait impur.

La loi disait : on ne fera rien à l’encontre d’un tribun ; donc si ce tribun convoquait la plèbe, la plèbe se réunissait, et nul ne pouvait dissoudre cette assemblée, que la présence du tribun mettait hors de l’atteinte du patriciat et des lois. Si le tribun entrait au Sénat, nul ne pouvait l’en faire sortir. S’il saisissait un consul, nul ne pouvait le dégager de ses mains.