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à en établir un pour la plèbe. Il n’avait pas la hardiesse de la chasser de Rome, mais il ne trouvait pas non plus le moyen de la constituer en société régulière. On voyait ainsi au milieu de Rome des milliers de familles pour lesquelles il n’existait pas de lois fixes, pas d’ordre social, pas de magistratures. La cité, le populus, c’est-à-dire la société patricienne avec les clients qui lui étaient restés, s’élevait puissante, organisée, majestueuse. Autour d’elle vivait la multitude plébéienne qui n’était pas un peuple et ne formait pas un corps. Les consuls, chefs de la cité patricienne, maintenaient l’ordre matériel dans cette population confuse ; les plébéiens obéissaient ; faibles, généralement pauvres, ils pliaient sous la force du corps patricien.

Le problème dont la solution devait décider de l’avenir de Rome était celui-ci : comment la plèbe deviendrait-elle une société régulière ?

Or le patriciat, dominé par les principes rigoureux de sa religion, ne voyait qu’un moyen de résoudre ce problème, et c’était de faire entrer la plèbe, par la clientèle, dans les cadres sacrés des gentes. Il paraît qu’une tentative fut faite en ce sens. La question des dettes, qui agita Rome à cette époque, ne peut s’expliquer que si l’on voit en elle la question plus grave de la clientèle et du servage. La plèbe romaine, dépouillée de ses terres, ne pouvait plus vivre. Les patriciens calculèrent que par le sacrifice de quelque argent ils la feraient tomber dans leurs liens. L’homme de la plèbe emprunta. En empruntant, il se donnait au créancier, se vendait à lui. C’était si bien une vente que cela se faisait per aes et libram, c’est-à-dire avec la formalité solennelle que l’on employait d’ordinaire pour conférer à un homme le droit de propriété sur un objet.[1] Il est vrai

  1. Varron, de ling. lat., VII, I05. Festus, v° nexum. Tite Live, VIII, 28. Aulu-Gelle, XX, I.