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société où la richesse se déplace, les rangs sont bien près d’être renversés. Une autre conséquence de ce changement fut que dans le peuple même des distinctions et des rangs s’établirent, comme il en faut dans toute société humaine. Quelques familles furent en vue ; quelques noms grandirent peu à peu. Il se forma dans le peuple une sorte d’aristocratie ; ce n’était pas un mal ; le peuple cessa d’être une masse confuse et commença à ressembler à un corps constitué. Ayant des rangs en lui, il put se donner des chefs, sans plus avoir besoin de prendre parmi les patriciens le premier ambitieux venu qui voulait régner. Cette aristocratie plébéienne eut bientôt les qualités qui accompagnent ordinairement la richesse acquise par le travail, c’est-à-dire le sentiment de la valeur personnelle, l’amour d’une liberté calme, et cet esprit de sagesse qui en souhaitant les améliorations redoute les aventures. La plèbe se laissa guider par cette élite qu’elle fut fière d’avoir en elle. Elle renonça à avoir des tyrans dès qu’elle sentit qu’elle possédait dans son sein les éléments d’un gouvernement meilleur. Enfin la richesse devint pour quelque temps, comme nous le verrons tout à l’heure, un principe d’organisation sociale. Il y a encore un changement dont il faut parler, car il aida fortement la classe inférieure à grandir ; c’est celui qui s’opéra dans l’art militaire. Dans les premiers siècles de l’histoire des cités, la force des armées était dans la cavalerie. Le véritable guerrier était celui qui combattait sur un char ou à cheval ; le fantassin, peu utile au combat, était peu estimé. Aussi l’ancienne aristocratie s’était-elle réservé partout le droit de combattre à cheval[1] ; même dans quelques villes les nobles se donnaient le titre de chevaliers. Les celeres de Romulus, les chevaliers romains

  1. Aristote, Politique, VI, 3, 2.