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ne pouvait être porté que par des familles sacerdotales, il les appela tyrans.[1]

Quel que soit le sens originel de ce mot, il est certain qu’il n’était pas emprunté à la langue de la religion ; on ne pouvait pas l’appliquer aux dieux, comme on faisait du mot roi ; on ne le prononçait pas dans les prières. Il désignait en effet quelque chose de très nouveau parmi les hommes, une autorité qui ne dérivait pas du culte, un pouvoir que la religion n’avait pas établi. L’apparition de ce mot dans la langue grecque marque l’apparition d’un principe que les générations précédentes n’avaient pas connu l’obéissance de l’homme à l’homme. Jusque-là, il n’y avait eu d’autres chefs d’État que ceux qui étaient les chefs de la religion ; ceux-là seuls commandaient à la cité, qui faisaient le sacrifice et invoquaient les dieux pour elle ; en leur obéissant, on n’obéissait qu’à la loi religieuse et on ne faisait acte de soumission qu’à la divinité. L’obéissance à un homme, l’autorité donnée à cet homme par d’autres hommes, un pouvoir d’origine et de nature tout humaine, cela avait été inconnu aux anciens eupatrides, et cela ne fut conçu que le jour où les classes inférieures rejetèrent le joug de l’aristocratie et cherchèrent un gouvernement nouveau.

Citons quelques exemples. A Corinthe, le peuple supportait avec peine la domination des Bacchides ; Cypsélus, témoin de la haine qu’on leur portait et voyant que le peuple cherchait un chef pour le conduire à l’affranchissement, s’offrit à être ce chef ; le peuple l’accepta, le fit tyran, chassa les Bacchides et obéit à Cypsélus. Milet eut pour tyran un certain Thrasybule ; Mitylène obéit à Pittacus, Samos à Polycrate. Nous trouvons des tyrans à Argos, à Épidaure,

  1. Le nom de roi fut quelquefois laissé à ces chefs populaires, lorsqu’ils descendaient de familles religieuses. Hérodote, V, 92.