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moment du combat et au moment du vote. L’autorité du patron se trouva fort amoindrie et ce qu’il lui en resta fut de jour en jour plus contesté. Dès que le client eut goûté à l’indépendance, il la voulut tout entière. Il aspira à se détacher de la gens et à entrer dans la plèbe, où l’on était libre. Que d’occasions se présentaient ! Sous les rois, il était sûr d’être aidé par eux, car ils ne demandaient pas mieux que d’affaiblir les gentes. Sous la république, il trouvait la protection de la plèbe elle-même et des tribuns. Beau- coup de clients s’affranchirent ainsi et la gens ne put pas les ressaisir. En 472 avant J.-C., le nombre des clients était encore assez considérable, puisque la plèbe se plaignait que, par leurs suffrages dans les comices centuriates, ils fissent pencher la balance du côté des patriciens[1]. Vers la même époque, la plèbe ayant refusé de s’enrôler, les patriciens purent former une armée avec leurs clients[2]. Il paraît pourtant que ces clients n’étaient plus assez nombreux pour cultiver à eux seuls les terres des patriciens, et que ceux-ci étaient obligés d’emprunter des bras à la plèbe[3]. Il est vraisemblable que la création du tribunat, en assurant aux clients échappés des protecteurs contre leurs anciens patrons, et en rendant la situation des plébéiens plus enviable et plus sûre, hâta ce mouvement graduel vers l’affranchissement. En 372 il n’y avait plus de clients, et un Manlius pouvait dire à la plèbe : « Autant vous avez été de clients autour de chaque patron, autant vous serez maintenant contre un seul ennemi[4]. » Dès lors nous ne voyons plus dans l’histoire de Rome ces anciens clients, ces hommes héréditairement attachés à la gens. La clientèle primitive fait place à une clientèle d’un genre nouveau, lien volontaire et presque fictif

  1. Tite-Live, II, 56.
  2. Denys, VII, 19 ; X, 27.
  3. Inculti per secessionem plebis agri, Tite-Live, II, 34.
  4. Tite-Live, VI, 18.