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lever les basses classes et d’affaiblir les gentes, et c’était pour cela qu’on avait renversé les rois. L’aristocratie n’avait opéré une révolution politique que pour empêcher une révolution sociale. Elle avait pris en mains le pouvoir, moins pour le plaisir de dominer que pour défendre contre des attaques ses vieilles institutions, ses antiques principes, son culte domestique, son autorité paternelle, le régime de la gens et enfin le droit privé que la religion primitive avait établi.

Ce grand et général effort de l’aristocratie répondait donc à un danger. Or il paraît qu’en dépit de ses efforts et de sa victoire même, le danger subsista. Les vieilles institutions commençaient à chanceler et de graves changements allaient s’introduire, dans la constitution intime des familles.

Le vieux régime de la gens, fondé par la religion domestique, n’avait pas été détruit le jour où les hommes étaient passés au régime de la cité. On n’avait pas voulu ou on n’avait pas pu y renoncer immédiatement, les chefs tenant à conserver leur autorité, les inférieurs n’ayant pas tout de suite la pensée de s’affranchir. On avait donc concilié le régime de la gens avec celui de la cité. Mais c’étaient, au fond, deux régimes opposés, que l’on ne devait pas espérer d’allier pour toujours et qui devaient un jour ou l’autre se faire la guerre. La famille, indivisible et nombreuse, était trop forte et trop indépendante pour que le pouvoir social n’éprouvât pas la tentation et même le besoin de l’affaiblir. Ou la cité ne devait pas durer, ou elle devait à la longue briser la famille.

L’ancienne gens avec son foyer unique, son chef souverain, son domaine indivisible, se conçoit bien tant que dure l’état d’isolement et qu’il n’existe pas d’autre société qu’elle. Mais dès que les hommes sont réunis en cité, le pouvoir de l’ancien chef est forcément amoindri ; car en même temps qu’il est