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était arrivé que tout ce qu’il y avait de puissance dans l’État avait été réuni dans les mains du roi.

Mais les chefs des familles, les patres, et au-dessus d’eux les chefs des phratries et des tribus formaient à côté de ce roi une aristocratie très-forte. Le roi n’était pas seul roi ; chaque pater l’était comme lui dans sa gens ; c’était même à Rome un antique usage d’appeler chacun de ces puissants patrons du nom de roi ; à Athènes, chaque phratrie et chaque tribu avait son chef, et à côté du roi de la cité il y avait les rois des tribus, φυλοβασιλεῖς. C’était une hiérarchie de chefs ayant tous, dans un domaine plus ou moins étendu, les mêmes attributions et la même inviolabilité. Le roi de la cité n’exerçait pas son pouvoir sur la population entière ; l’intérieur des familles et toute la clientèle échappaient à son action. Comme le roi féodal, qui n’avait pour sujets que quelques puissants vassaux, ce roi de la cité ancienne ne commandait qu’aux chefs des tribus et des gentes, dont chacun individuellement pouvait être aussi puissant que lui, et qui réunis l’étaient beaucoup plus. On peut bien croire qu’il ne lui était pas facile de se faire obéir. Les hommes devaient avoir pour lui un grand respect, parce qu’il était le chef du culte et le gardien du foyer ; mais ils avaient sans doute peu de soumission, parce qu’il avait peu de force. Les gouvernants et les gouvernés ne furent pas longtemps sans s’apercevoir qu’ils n’étaient pas d’accord sur la mesure d’obéissance qui était due. Les rois voulaient être puissants et les pères ne voulaient pas qu’ils le fussent. Une lutte s’engagea donc, dans toutes les cités, entre l’aristocratie et les rois.

Partout l’issue de la lutte fut la même ; la royauté fut vaincue. Mais il ne faut pas perdre de vue que cette royauté primitive était sacrée. Le roi était l’homme qui disait la prière, qui faisait le sacrifice, qui avait enfin par droit héréditaire le pouvoir d’at-