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dans les comices grâce aux suffrages de leurs clients[1]. » On lit dans Denys d’Halicarnasse : « La plèbe sortit de Rome et se retira sur le mont Sacré ; les patriciens restèrent seuls dans la ville avec leurs clients. » Et plus loin : « La plèbe mécontente refusa de s’enrôler, les patriciens prirent les armes avec leurs clients et firent la guerre[2]. » Cette plèbe, bien séparée des clients, ne faisait pas partie, du moins dans les premiers siècles, de ce qu’on appelait le peuple romain. Dans une vieille formule de prière, qui se répétait encore au temps des guerres puniques, on demandait aux dieux d’être propices « au peuple et à la plèbe[3] ». La plèbe n’était donc pas comprise dans le peuple, du moins à l’origine. Le peuple comprenait les patriciens et leurs clients ; la plèbe était en dehors.

Ce qui fait le caractère essentiel de la plèbe, c’est qu’elle est étrangère à l’organisation religieuse de la cité, et même à celle de la famille. On reconnaît à cela le plébéien et on le distingue du client. Le client partage au moins le culte de son patron et fait partie d’une famille, d’une gens. Le plébéien, à l’origine, n’a pas de culte et ne connaît pas la famille sainte.

Ce que nous avons vu plus haut de l’état social et religieux des anciens âges nous explique comment

  1. Tite-Live, II, 64 ; II, 56.
  2. Denys, VI, 46 ; VII, 19 ; X, 27.
  3. Tite-Live, XXIX, 27 : Ut ea mihi populo plebique romanœ bene verruncent. — Cicéron, pro Murena, I : Ut ea res mihi magistratuique meo, populo plebique romanœ bene atque feliciter eveniat. — Macrobe (Saturn., I, 17) cite un vieil oracle du devin Marcius qui portait : Prœtor qui jus populo plebique dabit. — Que les écrivains anciens n’aient pas toujours tenu compte de cette distinction essentielle entre le populus et la plebs, c’est ce dont on ne sera pas surpris, si l’on songe que cette distinction n’existait plus au temps où ils écrivaient. À l’époque de Cicéron, il y avait plusieurs siècles que la plebs faisait légalement partie du populus. Mais les vieilles formules, que citent Tite-Live, Ciceron et Macrobe, restaient comme des souvenirs du temps où les deux populations ne se confondaient pas encore.