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tard. Si Sparte conquiert la Messénie, ce n’est pas pour faire des Spartiates et des Messéniens un seul peuple ; elle expulse toute la race des vaincus et prend leurs terres. Athènes en use de même à l’égard de Salamine, d’Égine, de Mélos.

Faire entrer les vaincus dans la cité des vainqueurs était une pensée qui ne pouvait venir à l’esprit de personne. La cité possédait des dieux, des hymnes, des fêtes, des lois, qui étaient son patrimoine précieux ; elle se gardait bien d’en donner part à des vaincus. Elle n’en avait même pas le droit ; Athènes pouvait-elle admettre que l’habitant d’Égine entrât dans le temple d’Athéné poliade ? qu’il adressât un culte à Thésée ? qu’il prit part aux repas sacrés ? qu’il entretînt, comme prytane, le foyer public ? La religion le défendait. Donc la population vaincue de l’île d’Égine ne pouvait pas former un même État avec la population d’Athènes. N’ayant pas les mêmes dieux, les Éginètes et les Athéniens ne pouvaient pas avoir les mêmes lois, ni les mêmes magistrats.

Mais Athènes ne pouvait elle pas du moins, en laissant debout la ville vaincue, envoyer dans ses murs des magistrats pour la gouverner ? Il était absolument contraire aux principes des anciens qu’une cité fût gouvernée par un homme qui n’en fût pas citoyen. En effet le magistrat devait être un chef religieux et sa fonction principale était d’accomplir le sacrifice au nom de la cité. L’étranger, qui n’avait pas le droit de faire le sacrifice, ne pouvait donc pas être magistrat. N’ayant aucune fonction religieuse, il n’avait aux yeux des hommes aucune autorité régulière. Sparte essaya de mettre dans les villes ses harmostes ; mais ces hommes n’étaient pas magistrats, ne jugeaient pas, ne paraissaient pas dans les assemblées. N’ayant aucune relation régulière avec le peuple des villes, ils ne purent pas se maintenir longtemps.