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façable. Cette même religion, tant qu’elle fut puissante sur les âmes, défendit de communiquer aux étrangers le droit de cité. Au temps d’Hérodote, Sparte ne l’avait encore accordé à personne, excepté à un devin ; encore avait-il fallu pour cela l’ordre formel de l’oracle. Athènes l’accordait quelquefois ; mais avec quelles précautions ! Il fallait d’abord que le peuple réuni votât au scrutin secret l’admission de l’étranger ; ce n’était rien encore ; il fallait que, neuf jours après, une seconde assemblée votât dans le même sens, et qu’il y eût au moins six mille suffrages favorables : chiffre qui paraîtra énorme si l’on songe qu’il était fort rare qu’une assemblée athénienne réunît ce nombre de citoyens. Il fallait ensuite un vote du Sénat qui confirmât la décision de cette double assemblée. Enfin le premier venu parmi les citoyens pouvait opposer une sorte de veto et attaquer le décret comme contraire aux vieilles lois. Il n’y avait certes pas d’acte public que le législateur eût entouré d’autant de difficultés et de précautions que celui qui allait conférer à un étranger le titre de citoyen, et il s’en fallait de beaucoup qu’il y eût autant de formalités à remplir pour déclarer la guerre ou pour faire une loi nouvelle. D’où vient qu’on opposait tant d’obstacles à l’étranger qui voulait être citoyen ? Assurément on ne craignait pas que dans les assemblées politiques son vote fît pencher la balance. Démosthène nous dit le vrai motif et la vraie pensée des Athéniens : « c’est qu’il faut conserver aux sacrifices leur pureté. » Exclure l’étranger c’est veiller sur les cérémonies saintes. Admettre un étranger parmi les citoyens c’est « lui donner part à la religion et aux sacrifices »[1]. Or pour un tel acte le peuple ne se sentait pas entièrement libre, et il était saisi d’un scrupule religieux ; car il savait que les dieux nationaux étaient portés à repousser l’étranger

  1. Démosthènes, in Noœram, 89, 91, 92, 113, 114.