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sisté, c’est-à-dire qui n’avait pas eu part à la prière commune et au sacrifice, n’était plus citoyen jusqu’au lustre suivant.

Si l’on veut donner la définition exacte du citoyen, il faut dire que c’est l’homme qui a la religion de la cité[1]. L’étranger au contraire est celui qui n’a pas accès au culte, celui que les dieux de la cité ne protègent pas et qui n’a pas même le droit de les invoquer. Car ces dieux nationaux ne veulent recevoir de prières et d’offrandes que du citoyen ; ils repoussent l’étranger ; l’entrée de leurs temples lui est interdite et sa présence pendant le sacrifice est un sacrilège. Un témoignage de cet antique sentiment de répulsion nous est resté dans un des principaux rites du culte romain ; le pontife, lorsqu’il sacrifie en plein air, doit avoir la tête voilée, « parce qu’il ne faut pas que devant les feux sacrés, dans l’acte religieux qui est offert aux dieux nationaux, le visage d’un étranger se montre aux yeux du pontife ; les auspices en seraient troublés.[2] » Un objet sacré, qui tombait momentanément aux mains d’un étranger, devenait aussitôt profane ; il ne pouvait recouvrer son caractère religieux que par une cérémonie expiatoire[3]. Si l’ennemi s’était emparé d’une ville et que les citoyens vinssent à la reprendre, il fallait avant toute chose que les temples fussent purifiés et tous les foyers éteints et renouvelés ; le regard de l’étranger les avait souillés[4].

C’est ainsi que la religion établissait entre le citoyen et l’étranger une distinction profonde et inef-

  1. Démosthènes, in Neœram, 113, 114. Être citoyen se disait en grec συντελεῖν, c’est-à-dire faire le sacrifice ensemble, ou μετεῖναι ίἐριων καί δσιῲν.
  2. Virgile, Én., III, 406. Festus, v°. Exesto : Lictor in quibusdam sacris clamitabat, hostis exesto. On sait que hostis se disait de l’étranger (Macrobe, I, 17) ; hostilis facies, dans Virgile, signifie le visage d’un étranger.
  3. Digeste, liv. XI, tit. 6, 36.
  4. Plutarque, Aristide, 20. Tite-Live, V, 50.