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ne tombassent pas en oubli et que les rites ne fussent pas modifiés. Aussi chaque cité avait-elle un livre où tout cela était conservé.

L’usage des livres sacrés était universel chez les Grecs, chez les Romains, chez les Étrusques[1]. Quelquefois le rituel était écrit sur des tablettes de bois, quelquefois sur la toile ; Athènes gravait ses rites sur des tables de cuivre, afin qu’ils fussent impérissables. Rome avait ses livres des pontifes, ses livres des augures ; son livre des cérémonies, et son recueil des Indigitamenta. Il n’y avait pas de ville qui n’eût aussi une collection de vieux hymnes en l’honneur de ses dieux[2] ; en vain la langue changeait avec les mœurs et les croyances ; les paroles et le rythme restaient immuables, et dans les fêtes on continuait à chanter ces hymnes sans les comprendre.

Ces livres et ces chants, écrits par les prêtres, étaient gardés par eux avec un très grand soin. On ne les montrait jamais aux étrangers. Révéler un rite ou une formule, c’eût été trahir la religion de la cité et livrer ses dieux à l’ennemi. Pour plus de précaution, on les cachait même aux citoyens, et les prêtres seuls pouvaient en prendre connaissance.

Dans la pensée de ces peuples, tout ce qui était ancien était respectable et sacré. Quand un Romain voulait dire qu’une chose lui était chère, il disait : cela est antique pour moi ; les Grecs avaient la même expression. Les villes tenaient fort à leur passé, parce que c’était dans le passé qu’elles trouvaient tous les motifs comme toutes les règles de leur religion. Elles avaient besoin de se souvenir, car c’était sur des souvenirs et des traditions que tout leur culte reposait. Aussi l’histoire avait-elle pour les anciens beaucoup plus d’importance qu’elle n’en

  1. Pausanias, IV, 27, Plutarque, contre Colotès, 17. Pollux, VIII, 128. Pline, H. N., XIII, 21. Valère Maxime, I, 1, 3. Varron, L. L., VI, 16. Censorinus, 17. Festus, v° Rituales.
  2. Plutarque, Thésée, 16. Tacite, Ann., IV, 43. Élien, H. V., II, 39.