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À Rome la cérémonie était à peu près la même. L’armée se rendait en procession au principal temple de la ville ; les prêtres marchaient en tête du cortège, conduisant des victimes. Arrivé au temple, le général immolait les victimes aux dieux. Chemin faisant, les soldats portaient tous une couronne, comme il convenait dans une cérémonie sacrée, et ils chantaient un hymne comme en Grèce. Il vint à la vérité un temps où les soldats ne se firent pas scrupule de remplacer l’hymne, qu’ils ne comprenaient plus, par des chansons de caserne ou des railleries contre leur général. Mais ils conservèrent du moins l’usage de répéter de temps en temps le refrain, Io triumphe[1]. C’était même ce refrain qui donnait à la cérémonie son nom.

Ainsi en temps de paix et en temps de guerre la religion intervenait dans tous les actes. Elle était partout présente, elle enveloppait l’homme. L’âme, le corps, la vie privée, la vie publique, les repas, les fêtes, les assemblées, les tribunaux, les combats, tout était sous l’empire de cette religion de la cité. Elle réglait toutes les actions de l’homme, disposait de tous les instants de sa vie, fixait toutes ses habitudes. Elle gouvernait l’être humain avec une autorité si absolue qu’il ne restait rien qui fût en dehors d’elle.

Ce serait avoir une idée bien fausse de la nature humaine que de croire que cette religion des anciens était une imposture et pour ainsi dire une comédie. Montesquieu prétend que les Romains ne se sont donné un culte que pour brider le peuple. Jamais religion n’a eu une telle origine, et toute religion qui en est venue à ne se soutenir que par cette raison d’utilité publique, ne s’est pas soutenue longtemps. Montesquieu dit encore que les Romains assujettissaient la religion à l’État ; c’est le contraire qui est vrai ; il est impossible de lire quelques pages

  1. Varron, L. L., VI, 64. Pline, H. N., VII, 56. Macrobe. I, 19.