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On est surpris d’abord quand on voit dans les auteurs anciens qu’il n’y avait aucune ville, si antique qu’elle pût être, qui ne prétendît savoir le nom de son fondateur et la date de sa fondation. C’est qu’une ville ne pouvait pas perdre le souvenir de la cérémonie sainte qui avait marqué sa naissance ; car chaque année elle en célébrait l’anniversaire par un sacrifice. Athènes, aussi bien que Rome, fêtait son jour natal.

Il arrivait souvent que des colons ou des conquérants s’établissaient dans une ville déjà bâtie. Ils n’avaient pas de maisons à construire ; car rien ne s’opposait à ce qu’ils occupassent celles des vaincus. Mais ils avaient à accomplir la cérémonie de la fondation, c’est-à-dire à poser leur propre foyer et à fixer dans leur nouvelle demeure leurs dieux nationaux. C’est pour cela qu’on lit dans Thucydide et dans Hérodote que les Doriens fondèrent Lacédémone, et les Ioniens Milet, quoique les deux peuples eussent trouvé ces villes toutes bâties et déjà fort anciennes.

Ces usages nous disent clairement ce que c’était qu’une ville dans la pensée des anciens. Entourée d’une enceinte sacrée et s’étendant autour d’un autel, elle était le domicile religieux qui recevait les dieux et les hommes de la cité. Tite Live disait de Rome : « Il n’y a pas une place dans cette ville qui ne soit imprégnée de religion et qui ne soit occupée par quelque divinité… Les dieux l’habitent. » Ce que Tite Live disait de Rome, tout homme pouvait le dire de sa propre ville ; car, si elle avait été fondée suivant les rites, elle avait reçu dans son enceinte des dieux protecteurs qui s’étaient comme implantés dans son sol et ne devaient plus le quitter. Toute ville était un sanctuaire ; toute ville pouvait être appelée sainte[1].

  1. Ἵλιος ἵρη, ἵεραι Αθῆναι (Aristophane, Chev., 1319), Λακεδαίμονι δίῃ (Théognis, v. 837) ; ἵεραν πόλιν dit Théognis en parlant de Mégare.