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sans date, que les croyances se sont formées et que les institutions se sont ou établies ou préparées.

Mais quel espoir y a-t-il d’arriver à la connaissance de ce passé lointain ? Qui nous dira ce que pensaient les hommes dix ou quinze siècles avant notre ère ? Peut-on retrouver ce qui est si insaisissable et si fugitif, des croyances et des opinions ? Nous savons ce que pensaient les Aryas de l’Orient, il y a trente-cinq siècles ; nous le savons par les hymnes des Védas qui sont assurément fort antiques, et par les lois de Manou où l’on peut distinguer des passages qui sont d’une époque extrêmement reculée. Mais où sont les hymnes des anciens Hellènes ? Ils avaient, comme les Italiens, des chants antiques, de vieux livres sacrés ; mais de tout cela il n’est rien parvenu jusqu’à nous. Quel souvenir peut-il nous rester de ces générations qui ne nous ont pas laissé un seul texte écrit ?

Heureusement, le passé ne meurt jamais complètement pour l’homme. L’homme peut bien l’oublier, mais il le garde toujours en lui. Car, tel qu’il est à chaque époque, il est le produit et le résumé de toutes les époques antérieures. S’il descend en son âme, il peut retrouver et distinguer ces différentes époques d’après ce que chacune d’elles a laissé en lui.

Observons les Grecs du temps de Périclès, les Romains du temps de Cicéron ; ils portent en eux les marques authentiques et les vestiges certains des siècles les plus reculés. Le contemporain de Cicéron (je parle surtout de l’homme du peuple) a l’imagination pleine de légendes ; ces légendes lui viennent d’un temps très antique et elles portent témoignage de la manière de penser de ce temps-là. Le contemporain de Cicéron se sert d’une langue dont les radicaux sont infiniment anciens ; cette langue, en exprimant les pensées des vieux âges, s’est modelée sur elles, et elle en a gardé l’empreinte qu’elle transmet de siècle en siècle. Le sens intime d’un