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sait même que beaucoup d’entre eux ne se dégagèrent jamais de cette sorte de lien domestique. La Déméter d’Éleusis resta la divinité particulière de la famille des Eumolpides ; l’Athéné de l’acropole d’Athènes appartenait à la famille des Butades. Les Potitii de Rome avaient un Hercule et les Nautii une Minerve[1]. Il y a grande apparence que le culte de Vénus fut longtemps renfermé dans la famille des Jules et que cette déesse n’eut pas de culte public dans Rome.

Il arriva à la longue que, la divinité d’une famille ayant acquis un grand prestige sur l’imagination des hommes et paraissant puissante en proportion de la prospérité de cette famille, toute une cité voulut l’adopter et lui rendre un culte public pour obtenir ses faveurs. C’est ce qui eut lieu pour la Déméter des Eumolpides, l’Athéné des Butades, l’Hercule des Potitii. Mais quand une famille consentit à partager ainsi son dieu, elle se réserva du moins le sacerdoce. On peut remarquer que la dignité de prêtre, pour chaque dieu, fut longtemps héréditaire et ne put pas sortir d’une certaine famille[2]. C’est le vestige d’un temps où le dieu lui-même-était la propriété de cette famille, ne protégeait qu’elle et ne voulait être servi que par elle.

Il est donc vrai de dire que cette seconde religion fut d’abord à l’unisson de l’état social des hommes. Elle eut pour berceau chaque famille et resta long-temps enfermée dans cet étroit horizon. Mais elle se prêtait mieux que le culte des morts aux progrès futurs de l’association humaine. En effet les ancêtres, les héros, les mânes étaient des dieux qui, par leur

  1. Tite-Live, IX, 29. Denys, VI, 69.
  2. Hérodote, V, 64, 65 ; IX, 27. Pindare, Isthm., VII, 18. Xénophon, Hell., VI, 8. Platon, Lois, p. 759 ; Banquet, p. 40. Cicéron, De divin., I, 41. Tacite, Ann., II, 54. Plutarque, Thésée, 23. Strabon, IX, 421 ; XIV, 634. Callimaque, Hymne à. Apoll., 84. Pausanias, I, 37 ; VI, 17 ; X, 1. Apollodore, III, 13. Harpocration, v° Εύνιδαι. Bœckh, Corp. inscript., 1840.