Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gers. C’est là une pensée qui apparaît fréquemment dans les hymnes des Védas ; et il n’y a pas de doute qu’elle n’ait été aussi dans l’esprit des Aryas de l’Occident ; car elle a laissé des traces visibles dans leur religion. À mesure qu’une famille avait, en personnifiant un agent physique, créé un dieu, elle l’associait à son foyer, le comptait parmi ses pénates et ajoutait quelques mots pour lui à sa formule de prière. C’est pour cela que l’on rencontre souvent chez les anciens des expressions comme celles-ci : les dieux qui siègent près de mon foyer, le Jupiter de mon foyer, l’Apollon de mes pères[1]. « Je te conjure, dit Tecmesse à Ajax, au nom du Jupiter qui siége près de ton foyer. » Médée la magicienne dit dans Euripide : « Je jure par Hécate, ma déesse maîtresse, que je vénère et qui habite le sanctuaire de mon foyer. » Lorsque Virgile décrit ce qu’il y a de plus vieux dans la religion de Rome, il montre Hercule associé au foyer d’Èvandre et adoré par lui comme divinité domestique.

De là sont venus ces milliers de cultes locaux entre lesquels l’unité ne put jamais s’établir. De là ces luttes de dieux dont le polythéisme est plein et qui représentent des luttes de familles, de cantons ou de villes. De là enfin cette foule innombrable de dieux et de déesses, dont nous ne connaissons assurément que la moindre partie : car beaucoup ont péri, sans laisser même le souvenir de leur nom, parce que les familles qui les adoraient se sont éteintes ou que les villes qui leur avaient voué un culte ont été détruites.

Il fallut beaucoup de temps avant que ces dieux sortissent du sein des familles qui les avaient conçus et qui les regardaient comme leur patrimoine. On

  1. Έστιοῡχοι, έφέτιοι, πατρῶοι. Ό έμὸς Ζεὺς, Euripide, Hécube, 345 ; Médée, 395. Sophocle, Ajax, 492. Virgile, VIII, 543. Hérodote, I, 44.