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commettre qu’il nous le semble. Ce culte n’était pas une vaine formalité de parade. Une des règles les plus rigoureuses de la religion était qu’on ne devait honorer comme ancêtres que ceux dont on descendait véritablement ; offrir ce culte à un étranger était une impiété grave. Si donc la gens adorait en commun un ancêtre, c’est qu’elle croyait sincèrement descendre de lui. Simuler un tombeau, établir des anniversaires et un culte annuel, c’eût été porter le mensonge dans ce qu’on avait de plus sacré, et se jouer de la religion. Une telle fiction fut possible au temps de César, quand la vieille religion des familles ne touchait plus personne. Mais si l’on se reporte au temps où ces croyances étaient puissantes, on ne peut pas imaginer que plusieurs familles, s’associant dans une même fourberie, se soient dit : Nous allons feindre d’avoir un même ancêtre ; nous lui érigerons un tombeau, nous lui offrirons des repas funèbres, et nos descendants l’adoreront dans toute la suite des temps. Une telle pensée ne devait pas se présenter aux esprits, ou elle était écartée comme une pensée coupable.

Dans les problèmes diffciles que l’histoire offre souvent, il est bon de demander aux termes de la langue tous les enseignements qu’ils peuvent donner. Une institution est quelquefois expliquée par le mot qui la désigne. Or, le mot gens est exactement le même que le mot genus, au point qu’on pouvait les prendre l’un pour l’autre et dire indifféremment gens Fabia et genus Fabium ; tous les deux correspondent au verbe gignere et au substantif genitor, absolument comme Ύένος correspond à Υεννάν et à Υονεύς. Tous ces mots portent en eux l’idée de filiation. Les Grecs désignaient aussi les membres d’un Ύένος par le mot δμοΎάλαχες, qui signifie nourris du même lait. Que l’on compare à tous ces mots ceux que nous avons l’habitude de traduire par famille, le latin familia, le grec σἶχος. Ni l’un ni l’autre ne con-