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Chapitre VIII.

L’autorité dans la famille.

1° Principe et nature de la puissance paternelle chez les anciens

La famille n’a pas reçu ses lois de la cité. Si c’était la cité qui eût établi le droit privé, il est probable qu’elle l’eût fait tout différent de ce que nous l’avons vu. Elle eût réglé d’après d’autres principes le droit de propriété et le droit de succession ; car il n’était pas de son intérêt que la terre fût inaliénable et le patrimoine indivisible. La loi qui permet au père de vendre et même de tuer son fils, loi que nous trouvons en Grèce comme à Rome, n’a pas été imaginée par la cité. La cité aurait plutôt dit au père : « La vie de ta femme et de ton enfant ne t’appartient pas plus que leur liberté ; je les protégerai, même contre toi ; ce n’est pas toi qui les jugeras, qui les tueras s’ils ont failli ; je serai leur seul juge. » Si la cité ne parle pas ainsi, c’est apparemment qu’elle ne le peut pas. Le droit privé existait avant elle. Lorsqu’elle a commencé à écrire ses lois, elle a trouvé ce droit déjà établi, vivant, enraciné dans les mœurs, fort de l’adhésion universelle. Elle l’a accepté, ne pouvant pas faire autrement, et elle n’a osé le modifier qu’à la longue. L’ancien droit n’est pas l’œuvre d’un législateur ; il s’est au contraire

    si faible qu’il soit, mérite pourtant d’être signalé. On appelait sors un lot de terre, domaine d’une famille ; sors patrimonium significat, dit Festus ; le mot consortes se disait donc de ceux qui n’avaient entre eux qu’un lot de terre et vivaient sur le même domaine ; or la vieille langue désignait par ce mot des frères et même des parents à un degré assez éloigné : témoignage d’un temps où le patrimoine et la famille étaient indivisibles. (Festus, v. Sors, Cicéron, in Verrem, II, 3, 23. Tite-Live, XLI, 27. Velleius, I. 10. Lucrèce, III, 772 ; VI, 1280.)