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l’héritier des hymnes, le continuateur du culte, le chef religieux de la famille. De cette croyance découlait une règle de droit : l’aîné seul héritait des biens. Ainsi le disait un vieux texte que le dernier rédacteur des Lois de Manou insérait encore dans son code : « L’aîné prend possession du patrimoine entier, et les autres frères vivent sous son autorité comme s’ils vivaient sous celle de leur père. Le fils aîné acquitte la dette envers les ancêtres, il doit donc tout avoir[1].

Le droit grec est issu des mêmes croyances religieuses que le droit hindou ; il n’est donc pas étonnant d’y trouver aussi, à l’origine, le droit d’aînesse. Sparte le conserva plus longtemps que les autres villes grecques, parce qu’elle fut plus longtemps fidèle aux vieilles institutions ; chez elle le patrimoine était indivisible et le cadet n’avait aucune part[2]. Il en était de même dans beaucoup d’anciennes législations qu’Aristote avait étudiées ; il nous apprend en effet que celle de Thèbes prescrivait d’une manière absolue que le nombre des lots de terre restât immuable, ce qui excluait certainement le partage entre frères. Une ancienne loi de Corinthe voulait aussi que le nombre des familles fût invariable, ce qui ne pouvait être qu’autant que le droit d’aînesse empêchait les familles de se démembrer à chaque génération[3].

Chez les Athéniens, il ne faut pas s’attendre à trouver cette vieille institution encore en vigueur au temps de Démosthène ; mais il subsistait encore à cette époque ce qu’on appelait le privilège de l’aîné[4]. Il consistait à garder, en dehors du partage, la

  1. Lois de Manou, IX, 105-107, 126. Cette ancienne règle a été modifiée à mesure que la vieille religion s’est affaiblie. Déjà dans le code de manou on trouve des articles qui autorisent le partage de la succession.
  2. Fragments des histor. grecs, coll. Didot. t. II, p. 211.
  3. Aristote, Polit., II, 9 ; II, 3.
  4. Πρεσβεία, Démosthène, Pro Phorm., 34