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CH. VI. LE DROIT DE PROPRIÉTÉ.

Il est assez connu qu’à Sparte il était formellement défendu de vendre son lot de terre[1]. La même interdiction était écrite dans les lois de Locres et de Leucade[2]. Phidon de Corinthe, législateur du neuvième siècle, prescrivait que le nombre des familles et des propriétés restât immuable[3]. Or cette prescription ne pouvait être observée que s’il était interdit de vendre les terres et même de les partager. La loi de Solon, postérieure de sept ou huit générations à celle de Phidon de Corinthe, ne défendait plus à l’homme de vendre sa propriété, mais elle frappait le vendeur d’une peine sévère, la perte de tous les droits de citoyen[4]. Enfin Aristote nous apprend d’une manière générale que dans beaucoup de villes les anciennes législations interdisaient la vente des terres[5].

De telles lois ne doivent pas nous surprendre. Fondez la propriété sur le droit du travail, l’homme pourra s’en dessaisir. Fondez-la sur la religion, il ne le pourra plus : un lien plus fort que la volonté de l’homme unit la terre à lui. D’ailleurs ce champ où est le tombeau, où vivent les ancêtres divins, où la famille doit à jamais accomplir un culte, n’est pas la propriété d’un homme seulement, mais d’une famille. Ce n’est pas l’individu actuellement vivant qui a établi son droit sur cette terre ; c’est le dieu domestique, ce sont les ancêtres. L’individu ne l’a qu’en dépôt ; elle appartient à ceux qui sont morts et à ceux qui sont à naître. Elle fait corps avec cette famille et ne peut plus s’en séparer. Détacher l’une de l’autre, c’est altérer un culte et offenser une

  1. Plutarque, Lycurgue, Agis. Aristote, Polit., II, 6, 10 (II, 7)
  2. Aristote, Polit., II, 4, 4 (II, 5).
  3. Id., ibid., II, 3, 7.
  4. Eschine, contre Timarque. Diog. Laërce, I, 55.
  5. Arist., Polit., VII, 2.

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