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LIVRE II. LA FAMILLE.

même sépulture qu’il ne l’était d’unir deux foyers domestiques en une seule maison. C’était une égale impiété d’enterrer un mort hors du tombeau de sa famille ou de placer dans ce tombeau le corps d’un étranger[1]. La religion domestique, soit dans la vie, soit dans la mort, séparait chaque famille de toutes les autres, et écartait sévèrement toute apparence de communauté. De même que les maisons ne devaient pas être contiguës, les tombeaux ne devaient pas se toucher ; chacun d’eux avait, comme la maison, une sorte d’enceinte isolante.

Combien le caractère de propriété privée est manifeste en tout cela ! Les morts sont des dieux qui appartiennent en propre à une famille et qu’elle a seule le droit d’invoquer. Ces morts ont pris possession du sol ; ils vivent sous ce petit tertre, et nul, s’il n’est de la famille, ne peut penser à se mêler à eux. Personne d’ailleurs n’a le droit de les déposséder du sol qu’ils occupent ; un tombeau, chez les anciens, ne peut jamais être détruit ni déplacé[2] ; les lois les plus sévères le défendent. Voilà donc une part de sol qui, au nom de la religion, devient un objet de propriété perpétuelle pour chaque famille. La famille s’est approprié cette terre en y plaçant ses morts ; elle s’est implantée là pour toujours. Le rejeton vivant de cette famille peut dire légitimement : cette terre est à moi. Elle est tellement à lui qu’elle est inséparable de lui et qu’il n’a pas le droit de

  1. Cic., De legib., II, 22 ; II, 26. Gaius, Instit., II, 6. Digeste, XLVII, 12. Il faut noter que l’esclave et le client, comme nous le verrons plus loin, faisaient partie de la famille, et étaient enterrés dans le tombeau commun. — La règle qui prescrivait que chaque homme fût enterré dans le tombeau de la famille souffrait une exception dans le cas où la cité elle-même accordait les funérailles publiques.
  2. Lycurgue, contre Léocrate, 25. À Rome, pour qu’une sépulture fût déplacée il fallait l’autorisation des pontifes. Pline, Lettr., X, 73.