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CH. VI. LE DROIT DE PROPRIÉTÉ.

veille sur elle et la tient sous sa garde ; aussi donne-t-on à ce dieu l’épithète de ἑρκεῖος[1]. Cette enceinte tracée par la religion et protégée par elle est l’emblème le plus certain, la marque la plus irrécusable du droit de propriété.

Reportons-nous aux âges primitifs de la race aryenne. L’enceinte sacrée que les Grecs appellent ἕρκος et les latins herctum, c’est l’enclos assez étendu dans lequel la famille a sa maison, ses troupeaux, le petit champ qu’elle cultive. Au milieu s’élève le foyer protecteur. Descendons aux âges suivants : la population est arrivée jusqu’en Grèce et en Italie et elle a bâti des villes. Les demeures se sont rapprochées ; elles ne sont pourtant pas contiguës. L’enceinte sacrée existe encore, mais dans de moindres proportions ; elle est le plus souvent réduite à un petit mur, à un fossé, à un sillon, ou à un simple espace libre de quelques pieds de largeur. Dans tous les cas, deux maisons ne doivent pas se toucher ; la mitoyenneté est une chose réputée impossible. Le même mur ne peut pas être commun à deux maisons ; car alors l’enceinte sacrée des dieux domestiques aurait disparu. À Rome, la loi fixe à deux pieds et demi la largeur de l’espace libre qui doit toujours séparer deux maisons, et cet espace est consacré au « dieu de l’enceinte[2]. »

  1. À l’époque où cet ancien culte fut presque effacé par la religion plus jeune de Zeus, et où l’on associa Zeus à la divinité du foyer, le dieu nouveau prit pour lui l’épithète de ἑρκεῖος. Il n’en est pas moins vrai qu’à l’origine le vrai protecteur de l’enceinte était le dieu domestique. Denys d’Halic. l’atteste (I, 67) quand il dit que les θεοὶ ἑρκεῖοι sont les mêmes que les Pénates. Cela ressort d’ailleurs du rapprochement d’un passage de Pausanias (IV, 17) avec un passage d’Euripide (Troy., 17) et un de Virgile (Én., II, 514) ; ces trois passages se rapportent au même fait et montrent que le Ζεὺς ἑρκεῖος n’est autre que le foyer domestique.
  2. Festus, v. ambitus. Varron, De ling. lat., V, 22. Servius, ad Æn., II, 469.