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CH. III. CONTINUITÉ DE LA FAMILLE.

que le célibataire mettait en péril le bonheur des mânes de sa famille ; un malheur, parce qu’il ne devait recevoir lui-même aucun culte après sa mort et ne devait pas connaître « ce qui réjouit les mânes ». C’était à la fois pour lui et pour ses ancêtres une sorte de damnation.

On peut bien penser qu’à défaut de lois ces croyances religieuses durent longtemps suffire pour empêcher le célibat. Mais il paraît de plus que, dès qu’il y eut des lois, elles prononcèrent que le célibat était une chose mauvaise et punissable. Denys d’Halicarnasse qui avait compulsé les vieilles annales de Rome, dit avoir vu une ancienne loi qui obligeait les jeunes gens à se marier[1]. Le traité des lois de Cicéron, traité qui reproduit presque toujours, sous une forme philosophique, les anciennes lois de Rome, en contient une qui interdit le célibat[2]. À Sparte, la législation de Lycurgue privait de tous les droits de citoyen l’homme qui ne se mariait pas[3]. On sait par plusieurs anecdotes que lorsque le célibat cessa d’être défendu par les lois, il le fut encore par les mœurs. Il paraît enfin par un passage de Pollux que dans beaucoup de villes grecques, la loi punissait le célibat comme un délit[4]. Cela était conforme aux croyances ; l’homme ne s’appartenait pas, il appartenait à la famille. Il était un membre dans une série, et il ne fallait pas que la série s’arrêtât à lui. Il n’était pas né par hasard ; on l’avait introduit dans la vie pour qu’il continuât un culte ; il ne devait pas quitter la vie sans être sûr que ce culte serait continué après lui.

Mais il ne suffisait pas d’engendrer un fils. Le fils qui devait perpétuer la religion domestique devait être le

  1. Denys d’Halic., IX, 22.
  2. Cic., De legib., III, 2.
  3. Plutarq., Lycurgue ; apophth. des Lacéd.
  4. Pollux, III, 48.