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CH. III. CONTINUITÉ DE LA FAMILLE.

mort qui tombait au rang de démon malheureux et malfaisant. Car lorsque ces anciennes générations avaient commencé à se représenter la vie future, elles n’avaient pas songé à des récompenses et à des châtiments ; elles avaient cru que le bonheur du mort ne dépendait pas de la conduite qu’il avait menée pendant sa vie, mais de celle que ses descendants avaient à son égard. Aussi chaque père attendait-il de sa postérité la série des repas funèbres qui devaient assurer à ses Mânes le repos et le bonheur.

Cette opinion a été le principe fondamental du droit domestique chez les anciens. Il en a découlé d’abord cette règle que chaque famille dût se perpétuer à jamais. Les morts avaient besoin que leur descendance ne s’éteignît pas. Dans le tombeau où ils vivaient, ils n’avaient pas d’autre sujet d’inquiétude que celui-là. Leur unique pensée, comme leur unique intérêt, était qu’il y eût toujours un homme de leur sang pour apporter les offrandes au tombeau. Aussi le Hindou croyait-il que ces morts répétaient sans cesse : « Puisse-t-il naître toujours dans notre lignée des fils qui nous apportent le riz, le lait et le miel. » Le Hindou disait encore : « L’extinction d’une famille cause la ruine de la religion de cette famille ; les ancêtres privés de l’offrande des gâteaux tombent au séjour des malheureux[1]. »

Les populations de l’Italie et de la Grèce ont longtemps pensé de même. S’ils ne nous ont pas laissé dans leurs écrits une expression de leurs croyances aussi nette que celle que nous trouvons dans les vieux livres de l’Orient, du moins leurs lois sont encore là pour attester leurs antiques opinions. À Athènes la loi chargeait le premier

  1. Bhagavad-Gita, I, 40.