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CH. III. LE CHRISTIANISME.

successions, ni les obligations, ni la procédure. Il se plaça en dehors du droit, comme en dehors de toute chose purement terrestre. Le droit fut donc indépendant ; il put prendre ses règles dans la nature, dans la conscience humaine, dans la puissante idée du juste qui est en nous. Il put se développer en toute liberté, se réformer et s’améliorer sans nul obstacle, suivre les progrès de la morale, se plier aux intérêts et aux besoins sociaux de chaque génération.

L’heureuse influence de l’idée nouvelle se reconnaît bien dans l’histoire du droit romain. Durant les quelques siècles qui précédèrent le triomphe du christianisme, le droit romain travaillait à se dégager de la religion et à se rapprocher de l’équité et de la nature ; mais il ne procédait que par des détours et par des subtilités, qui l’énervaient et affaiblissaient son autorité morale. L’œuvre de régénération du droit, annoncée par la philosophie stoïcienne, poursuivie par les nobles efforts des jurisconsultes romains, ébauchée par les artifices et les ruses du préteur, ne put réussir complétement qu’à la faveur de l’indépendance que la nouvelle religion laissait au droit. On put voir, à mesure que le christianisme conquérait la société, les codes romains admettre les règles nouvelles, non plus par des subterfuges, mais ouvertement et sans hésitation. Les pénates domestiques ayant été renversés et les foyers éteints, l’antique constitution de la famille disparut pour toujours, et avec elle les règles qui en avaient découlé. Le père perdit l’autorité absolue que son sacerdoce lui avait autrefois donnée, et ne conserva que celle que la nature même lui confère pour les besoins de l’enfant. La femme, que le vieux culte plaçait dans une position inférieure au mari, devint moralement