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LIVRE V. LE RÉGIME MUNICIPAL DISPARAÎT.

les hommes et les devoirs envers les dieux de la cité. La religion commandait alors à l’État, et lui désignait ses chefs par la voie du sort ou par celle des auspices ; l’État, à son tour, intervenait dans le domaine de la conscience et punissait toute infraction aux rites et au culte de la cité. Au lieu de cela, Jésus-Christ enseigne que son empire n’est pas de ce monde. Il sépare la religion du gouvernement. La religion, n’étant plus terrestre, ne se mêle plus que le moins qu’elle peut aux choses de la terre. Jésus-Christ ajoute : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » C’est la première fois que l’on distingue si nettement Dieu de l’État. Car César, à cette époque, c’est encore le grand pontife, le chef et le principal organe de la religion romaine ; il est le gardien et l’interprète des croyances ; il tient dans ses mains le culte et le dogme. Sa personne même est sacrée et divine ; car c’est précisément un des traits de la politique des empereurs, que, voulant reprendre les attributs de la royauté antique, ils n’ont eu garde d’oublier ce caractère divin que l’antiquité avait attaché aux rois-pontifes et aux prêtres-fondateurs. Mais voici que Jésus-Christ brise cette alliance que le paganisme et l’empire voulaient renouer ; il proclame que la religion n’est plus l’État, et qu’obéir à César n’est plus la même chose qu’obéir à Dieu.

Le christianisme renverse les cultes locaux, éteint les prytanées, brise les divinités poliades. Il fait plus : il ne prend pas pour lui l’empire que ces cultes avaient exercé sur la société civile. Il professe qu’entre l’État et la religion il n’y a rien de commun ; il sépare ce que toute l’antiquité avait confondu. On peut d’ailleurs remarquer que pendant trois siècles, la religion nouvelle vécut tout