Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/527

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
515
CH. III. LE CHRISTIANISME.

Le christianisme apportait encore d’autres nouveautés. Il n’était la religion domestique d’aucune famille, la religion nationale d’aucune cité ni d’aucune race. Il n’appartenait ni à une caste ni à une corporation. Dès son début, il appelait à lui l’humanité entière. Jésus-Christ disait à ses disciples : Allez et instruisez tous les peuples.

Ce principe était si extraordinaire et si inattendu que les premiers disciples eurent un moment d’hésitation ; on peut voir dans les Actes des apôtres que plusieurs se refusèrent d’abord à propager la nouvelle doctrine en dehors du peuple chez qui elle avait pris naissance. Ces disciples pensaient, comme les anciens Juifs, que le Dieu des Juifs ne voulait pas être adoré par des étrangers ; comme les Romains et les Grecs des temps anciens, ils croyaient que chaque race avait son dieu, que propager le nom et le culte de ce dieu c’était se dessaisir d’un bien propre et d’un protecteur spécial, et qu’une telle propagande était à la fois contraire au devoir et à l’intérêt. Mais Pierre répliqua à ces disciples : « Dieu ne fait pas de différence entre les gentils et nous. » Saint Paul se plut à répéter ce grand principe en toute occasion et sous toute espèce de forme : « Dieu, dit-il, ouvre aux gentils les portes de la foi… Dieu n’est-il Dieu que des Juifs ? non certes, il l’est aussi des gentils… Les gentils sont appelés au même héritage que les Juifs. »

Il y avait en tout cela quelque chose de très-nouveau. Car partout, dans le premier âge de l’humanité, on avait conçu la divinité comme s’attachant spécialement à une race. Les Juifs avaient cru au Dieu des Juifs, les Athéniens à la Pallas Athénienne, les Romains au Jupiter Capitolin. Le droit de pratiquer un culte était un privilége. L’étranger était repoussé des temples ; le non