Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
510
LIVRE V. LE RÉGIME MUNICIPAL DISPARAÎT.

dans l’histoire de décrets plus importants que celui-là : il supprimait la distinction qui existait depuis la conquête romaine entre le peuple dominateur et les peuples sujets ; il faisait même disparaître la distinction beaucoup plus vieille que la religion et le droit avaient marquée entre les cités. Cependant les historiens de ce temps-là n’en ont pas pris note, et nous ne le connaissons que par deux textes vagues des jurisconsultes et une courte indication de Dion Cassius[1]. Si ce décret n’a pas frappé les contemporains et n’a pas été remarqué de ceux qui écrivaient alors l’histoire, c’est que le changement dont il était l’expression légale, était achevé depuis longtemps. L’inégalité entre les citoyens et les sujets s’était affaiblie à chaque génération et s’était peu à peu effacée. Le décret put passer inaperçu, sous le voile d’une mesure fiscale ; il proclamait et faisait passer dans le domaine du droit ce qui était déjà un fait accompli.

Le titre de citoyen commença alors à tomber en désuétude, ou, s’il fut encore employé, ce fut pour désigner

  1. « Antoninus pius jus romanæ civitatis omnibus subjectis donavit. » Justinien, Novell., 78, ch. 5. « In orbe romano qui sunt, ex constitutione imperatoris Antonini, cives romani effecti sunt. » Ulpien, au Digeste, I, 5, 17. On sait d’ailleurs par Spartien que Caracalla se faisait appeler Antonin dans les actes officiels. Dion Cassius dit que Caracalla donna à tous les habitants de l’empire le droit de cité pour généraliser l’impôt du dixième sur les affranchissements et sur les successions. — La distinction entre pérégrins, latins et citoyens n’a pas entièrement disparu ; on la trouve encore dans Ulpien et dans le Code ; il parut en effet naturel que les esclaves affranchis ne devinssent pas aussitôt citoyens romains, mais passassent par tous les anciens échelons qui séparaient la servitude du droit de cité. On voit aussi à certains indices que la distinction entre les terres italiques et les terres provinciales subsista encore assez longtemps (Code, VII, 25 ; VII, 31 ; X, 39 ; Digeste, L, 1) ; ainsi la ville de Tyr en Phénicie, encore après Caracalla, jouissait par privilége du droit italique (Digeste, IV, 15) ; le maintien de cette distinction s’explique par l’intérêt des empereurs qui ne voulaient pas se priver des tributs que le sol provincial payait au fisc.