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LIVRE V. LE RÉGIME MUNICIPAL DISPARAÎT.

taux. Les hommes s’habituaient ainsi à lever les yeux au-dessus de leurs cités ; ils voyaient dans Rome la cité par excellence, la vraie patrie, le prytanée de tous les peuples. La ville où l’on était né paraissait petite : ses intérêts n’occupaient plus la pensée ; les honneurs qu’elle donnait ne satisfaisaient plus l’ambition. On ne s’estimait rien, si l’on n’était pas citoyen romain. Il est vrai que, sous les empereurs, ce titre ne conférait plus de droits politiques, mais il offrait de plus solides avantages, puisque l’homme qui en était revêtu acquérait en même temps le plein droit de propriété, le droit d’héritage, le droit de mariage, l’autorité paternelle et tout le droit privé de Rome. Les lois que chacun trouvait dans sa ville, étaient des lois variables et sans fondement, qui n’avaient qu’une valeur de tolérance ; le Romain les méprisait et le Grec lui-même les estimait peu. Pour avoir des lois fixes, reconnues de tous et vraiment saintes, il fallait avoir les lois romaines.

On ne voit pas que ni la Grèce entière ni même une ville grecque ait formellement demandé ce droit de cité si désiré : mais les hommes travaillèrent individuellement à l’acquérir, et Rome s’y prêta d’assez bonne grâce. Les uns l’obtinrent de la faveur de l’empereur ; d’autres l’achetèrent ; on l’accorda à ceux qui donnaient trois enfants à la société, ou qui servaient dans certains corps de l’armée ; quelquefois il suffit pour l’obtenir d’avoir construit un navire de commerce d’un tonnage déterminé, ou d’avoir porté du blé à Rome. Un moyen facile et prompt de l’acquérir était de se vendre comme esclave à un citoyen romain ; car l’affranchissement dans les formes légales conduisait au droit de cité[1].

  1. Suétone, Néron, 24. Pétrone, 57. Ulpien, III. Gaius, I, 16, 17.