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LIVRE V. LE RÉGIME MUNICIPAL DISPARAÎT.

lisé qu’après cinq siècles et demi. Alors une telle pensée était bien nouvelle, bien inattendue ; les Romains la déclarèrent monstrueuse et criminelle ; elle était en effet contraire à la vieille religion et aux vieux droits des cités. Le consul Manlius répondit que, s’il arrivait qu’une telle proposition fût acceptée, lui, consul, tuerait de sa main le premier Latin qui viendrait siéger dans le Sénat ; puis, se tournant vers l’autel, il prit le dieu à témoin, disant : « Tu as entendu, o Jupiter, les paroles impies qui sont sorties de la bouche de cet homme ! Pourras-tu tolérer, o dieu, qu’un étranger vienne s’asseoir dans ton temple sacré, comme sénateur, comme consul ? » Manlius ne faisait ici qu’exprimer le vieux sentiment de répulsion qui séparait le citoyen de l’étranger. Il était l’organe de l’antique loi religieuse, qui prescrivait que l’étranger fût détesté des hommes, parce qu’il était maudit des dieux de la cité. Il lui paraissait impossible qu’un Latin fût sénateur, parce que le lieu de réunion du Sénat était un temple, et que les dieux romains ne pouvaient pas souffrir dans leur sanctuaire la présence d’un étranger.

La guerre s’ensuivit ; les Latins vaincus firent dédition, c’est-à-dire livrèrent aux Romains leurs villes, leurs cultes, leurs lois, leurs terres. Leur position était cruelle. Un consul dit dans le Sénat que, si l’on ne voulait pas que Rome fût entourée d’un vaste désert, il fallait régler le sort des Latins avec quelque clémence. Tite-Live n’explique pas clairement ce qui fut fait ; s’il faut l’en croire, on donna aux Latins le droit de cité romaine, mais sans y comprendre, dans l’ordre politique le droit de suffrage, ni dans l’ordre civil le droit de mariage ; on peut noter en outre que ces nouveaux citoyens