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LIVRE V. LE RÉGIME MUNICIPAL DISPARAÎT.

Telle était l’omnipotence du gouverneur. Il était la loi vivante. Quant à invoquer la justice romaine contre ses violences ou ses crimes, les provinciaux ne le pouvaient que s’ils trouvaient un citoyen romain qui voulût leur servir de patron[1]. Car d’eux-mêmes ils n’avaient pas le droit d’alléguer la loi de la cité ni de s’adresser à ses tribunaux. Ils étaient des étrangers ; la langue juridique et officielle les appelait peregrini ; tout ce que la loi disait du hostis continuait à s’appliquer à eux.

La situation légale des habitants de l’empire apparaît clairement dans les écrits des jurisconsultes romains. On y voit que les peuples sont considérés comme n’ayant plus leurs lois propres et n’ayant pas encore les lois romaines. Pour eux le droit n’existe donc en aucune façon. Aux yeux du jurisconsulte romain, le provincial n’est ni mari, ni père, c’est-à-dire que la loi ne lui reconnaît ni la puissance maritale ni l’autorité paternelle. La propriété n’existe pas pour lui ; il y a même une double impossibilité à ce qu’il soit propriétaire ; impossibilité à cause de sa condition personnelle, parce qu’il n’est pas citoyen romain ; impossibilité à cause de la condition de sa terre, parce qu’elle n’est pas terre romaine, et que la loi n’admet le droit de propriété complète que dans les limites de l’ager romanus. Aussi les jurisconsultes enseignent-ils que le sol provincial n’est jamais propriété privée, et que les hommes ne peuvent en avoir que la possession et l’usufruit[2]. Or ce qu’ils disent, au second siècle de notre ère, du sol provincial, avait été également vrai du sol italien avant le jour où l’Italie avait obtenu le droit de cité romaine, comme nous le verrons tout à l’heure.

  1. Cic., De orat., I, 9.
  2. Gaius, II, 7 ; Cic., pro Flacco, 32.