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CH. IV. LA RELIGION DOMESTIQUE.

mane, des chants que je tiens de ma famille et que mon père m’a transmis[1]. »

Ainsi la religion ne résidait pas dans les temples, mais dans la maison ; chacun avait ses dieux ; chaque dieu ne protégeait qu’une famille et n’était dieu que dans une maison. On ne peut pas raisonnablement supposer qu’une religion de ce caractère ait été révélée aux hommes par l’imagination puissante de l’un d’entre eux ou qu’elle leur ait été enseignée par une caste de prêtres. Elle est née spontanément dans l’esprit humain ; son berceau a été la famille ; chaque famille s’est fait ses dieux.

Cette religion ne pouvait se propager que par la génération. Le père, en donnant la vie à son fils, lui donnait en même temps sa croyance, son culte, le droit d’entretenir le foyer, d’offrir le repas funèbre, de prononcer les formules de prière. La génération établissait un lien mystérieux entre l’enfant qui naissait à la vie et tous les dieux de la famille. Ces dieux étaient sa famille même, θεοὶ ἐγγενεῖς ; c’était son sang, θεοὶ σύναιμοι[2]. L’enfant apportait donc en naissant le droit de les adorer et de leur offrir les sacrifices ; comme aussi, plus tard, quand la mort l’aurait divinisé lui-même, il devait être compté à son tour parmi ces dieux de la famille.

Mais il faut remarquer cette particularité que la religion domestique ne se propageait que de mâle en mâle. Cela tenait sans nul doute à l’idée que les hommes se faisaient

  1. Rig Véda, tr. Langlois, t. I, p. 113. Les lois de Manou mentionnent souvent les rites particuliers à chaque famille : VIII, 3 ; IX, 7.
  2. Sophocle, Antig., 199 ; Ibid., 659. Rappr. πατρῴοι θεοί dans Aristoph., Guêpes, 388 ; Eschyle, Perses, 404 ; Sophocle, Électre, 411 ; θεοὶ γενέθλιοι, Platon, Lois, V, p. 729 ; Di generis, Ovide, Fast., II, 631.