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CH. II. LA CONQUÊTE ROMAINE.

c’était le sens du mot provincia. En même temps elle conférait à ce citoyen l’imperium ; cela signifiait qu’elle se dessaisissait en sa faveur, pour un temps déterminé, de la souveraineté qu’elle possédait sur le pays. Dès lors ce citoyen représentait en sa personne tous les droits de la république, et, à ce titre, il était un maître absolu. Il fixait le chiffre de l’impôt ; il exerçait le pouvoir militaire ; il rendait la justice. Ses rapports avec les sujets ou les alliés n’étaient réglés par aucune constitution. Quand il siégeait sur son tribunal, il jugeait suivant sa seule volonté ; aucune loi ne pouvait s’imposer à lui, ni la loi des provinciaux, puisqu’il était romain, ni la loi romaine, puisqu’il jugeait des provinciaux. Pour qu’il y eût des lois entre lui et ses administrés, il fallait qu’il les eût faites lui-même ; car lui seul pouvait se lier. Aussi l’imperium dont il était revêtu, comprenait-il la puissance législative. De là vient que les gouverneurs eurent le droit et contractèrent l’habitude de publier à leur entrée dans la province un code de lois, qu’ils appelaient leur Édit, et auquel ils s’engageaient moralement à se conformer. Mais comme les gouverneurs changeaient tous les ans, ces codes changèrent aussi chaque année, par la raison que la loi n’avait sa source que dans la volonté de l’homme momentanément revêtu de l’imperium. Ce principe était si rigoureusement appliqué que, lorsqu’un jugement avait été prononcé par le gouverneur, mais n’avait pas été entièrement exécuté au moment de son départ de la province, l’arrivée du successeur annulait de plein droit ce jugement, et la procédure était à recommencer[1].

  1. Gaius, IV, 103, 105.

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