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LIVRE V. LE RÉGIME MUNICIPAL DISPARAÎT.

Cette classe eut la sagesse d’admettre en elle les familles les plus considérables des villes sujettes ou des alliés. Tout ce qui était riche en Italie, arriva peu à peu à former la classe riche de Rome. Ce corps grandit toujours en importance et fut maître de l’État. Il exerça seul les magistratures, parce qu’elles coûtaient beaucoup à acheter ; et il composa seul le Sénat, parce qu’il fallait un cens très-élevé pour être sénateur. Ainsi l’on vit se produire ce fait étrange, qu’en dépit des lois qui étaient démocratiques, il se forma une noblesse, et que le peuple, qui était tout-puissant, souffrit qu’elle s’élevât au-dessus de lui et ne lui fit jamais une véritable opposition.

Rome était donc, au troisième et au second siècle avant notre ère, la ville la plus aristocratiquement gouvernée qu’il y eût en Italie et en Grèce. Remarquons enfin que, si dans les affaires intérieures le Sénat était obligé de ménager la foule, pour ce qui concernait la politique extérieure il était maître absolu. C’était lui qui recevait les ambassadeurs, qui concluait les alliances, qui distribuait les provinces et les légions, qui ratifiait les actes des généraux, qui déterminait les conditions faites aux vaincus : toutes choses qui, partout ailleurs, étaient dans les attributions de l’assemblée populaire. Les étrangers, dans leurs relations avec Rome, n’avaient donc jamais affaire au peuple ; ils n’entendaient parler que du Sénat, et on les entretenait dans cette idée que le peuple n’avait aucun pouvoir. C’est là l’opinion qu’un Grec exprimait à Flamininus : « Dans votre pays, disait-il, la richesse gouverne, et tout le reste lui est soumis[1]. »

  1. Tite-Live, XXXIV, 31.