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CH. XIII. RÉVOLUTIONS DE SPARTE.

il voulait affilier un homme au complot, il le menait sur la place publique, et lui faisait compter les citoyens ; en y comprenant les rois, les éphores, les sénateurs, on arrivait au chiffre d’environ soixante-dix. Cinadon lui disait alors : « Ces gens-là sont nos ennemis ; tous les autres, au contraire, qui remplissent la place au nombre de plus de quatre mille, sont nos alliés. » Il ajoutait : « Quand tu rencontres dans la campagne un Spartiate, vois en lui un ennemi et un maître ; tous les autres hommes sont des amis. » Hilotes, Laconiens, Néodamodes, ὑπομείονες, tous s’étaient associés, cette fois, et étaient les complices de Cinadon ; « car tous, dit l’historien, avaient une telle haine pour leurs maîtres qu’il n’y en avait pas un seul parmi eux qui n’avouât qu’il lui serait agréable de les dévorer tout crus. » Mais le gouvernement de Sparte était admirablement servi : il n’y avait pas pour lui de secret. Les éphores prétendirent que les entrailles des victimes leur avaient révélé le complot. On ne laissa pas aux conjurés le temps d’agir : on mit la main sur eux, et on les fit périr secrètement. L’oligarchie fut encore une fois sauvée[1].

À la faveur de ce gouvernement, l’inégalité alla grandissant toujours. La guerre du Péloponèse et les expéditions en Asie avaient fait affluer l’argent à Sparte ; mais il s’y était répandu d’une manière fort inégale, et n’avait enrichi que ceux qui étaient déjà riches. En même temps, la petite propriété disparut. Le nombre des propriétaires, qui était encore de mille au temps d’Aristote, était réduit à cent, un siècle après lui[2]. Le sol était tout entier dans quelques mains, alors qu’il n’y avait ni in-

  1. Xénophon, Helléniques, III, 3.
  2. Plutarque, Agis, 5.