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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

besoin d’être éclairés. La politique n’était plus, comme dans le régime précédent, une affaire de tradition et de foi. Il fallait réfléchir et peser les raisons. La discussion était nécessaire ; car toute question était plus ou moins obscure, et la parole seule pouvait mettre la vérité en lumière. Le peuple athénien voulait que chaque affaire lui fût présentée sous toutes ses faces différences et qu’on lui montrât clairement le pour et le contre. Il tenait fort à ses orateurs. Il les rétribuait en argent pour chaque discours prononcé à la tribune[1]. Il faisait mieux encore : il les écoutait. Car il ne faut pas se figurer une foule turbulente et tapageuse. L’attitude du peuple était plutôt le contraire ; le poëte comique le représente écoutant bouche béante, immobile sur ses bancs de pierre[2]. Les historiens et les orateurs nous décrivent fréquemment ces réunions populaires ; nous ne voyons presque jamais qu’un orateur soit interrompu ; que ce soit Périclès ou Cléon, Eschine ou Démosthènes, le peuple est attentif ; qu’on le flatte ou qu’on le gourmande, il écoute. Il laisse exprimer les opinions les plus opposées, avec une patience qui est quelquefois admirable. Jamais de cris ni de huées. L’orateur, quoi qu’il dise, peut toujours arriver au bout de son discours.

À Sparte l’éloquence n’est guère connue. C’est que les principes du gouvernement ne sont pas les mêmes. L’aristocratie gouverne encore, et elle a des traditions fixes qui la dispensent de débattre longuement le pour et le contre de chaque sujet. À Athènes, le peuple veut être instruit ; il ne se décide qu’après un débat contradictoire ;

  1. Aristoph., Guêpes, 711 (689) et Schol. Isocrate, De pace, 130. Démosth., in Neær, 43. Plutarque, Dix orateurs, p. 850.
  2. Aristophane, Chevaliers, 1119.