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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

garanties d’intelligence, de courage, de probité ; il fallait surtout être capable d’accomplir les cérémonies du culte public. Il était nécessaire que les rites fussent bien observés et que les dieux fussent contents. Or les patriciens seuls avaient en eux le caractère sacré qui permettait de prononcer les prières et d’appeler la protection divine sur la cité. Le plébéien n’avait rien de commun avec le culte ; la religion s’opposait donc à ce qu’il fût consul, nefas plebeium consulem fieri.

On peut se figurer la surprise et l’indignation du patriciat, quand des plébéiens exprimèrent pour la première fois la prétention d’être consuls. Il sembla que la religion fût menacée. On se donna beaucoup de peine pour faire comprendre cela à la plèbe ; on lui dit quelle importance la religion avait dans la cité, que c’était elle qui avait fondé la ville, elle qui présidait à tous les actes publics, elle qui dirigeait les assemblées délibérantes, elle qui donnait à la république ses magistrats. On ajouta que cette religion était, suivant la règle antique (more majorum), le patrimoine des patriciens, que ses rites ne pouvaient être connus et pratiqués que par eux, et qu’enfin les dieux n’acceptaient pas le sacrifice du plébéien. Proposer de créer des consuls plébéiens, c’était vouloir supprimer la religion de la cité ; désormais le culte serait souillé et la cité ne serait plus en paix avec ses dieux[1].

Le patriciat usa de toute sa force et de toute son adresse pour écarter les plébéiens de ses magistratures. Il défendait à la fois sa religion et sa puissance. Dès qu’il vit que le consulat était en danger d’être obtenu par la

  1. Tite-Live, VI, 41.