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CH. VII. LA PLÈBE ENTRE DANS LA CITÉ.

lois fussent rédigées par des plébéiens. Les patriciens répondirent qu’apparemment les tribuns ignoraient ce que c’était qu’une loi, car autrement ils n’auraient pas exprimé cette prétention. « Il est de toute impossibilité, disaient-ils, que les plébéiens fassent des lois. Vous qui n’avez pas les auspices, vous qui n’accomplissez pas d’actes religieux, qu’avez-vous de commun avec toutes les choses sacrées, parmi lesquelles il faut compter la loi[1] ? » Cette pensée de la plèbe paraissait monstrueuse aux patriciens. Aussi les vieilles annales, que Tite-Live et Denys consultaient en cet endroit de leur histoire, mentionnaient-elles d’affreux prodiges, le ciel en feu, des spectres voltigeant dans l’air, des pluies de sang[2]. Le vrai prodige était que des plébéiens eussent la pensée de faire des lois. Entre les deux ordres, dont chacun s’étonnait de l’insistance de l’autre, la république resta huit années en suspens. Puis les tribuns trouvèrent un compromis : « Puisque vous ne voulez pas que la loi soit écrite par les plébéiens, dirent-ils, choisissons les législateurs dans les deux ordres. » Par là ils croyaient concéder beaucoup ; c’était peu à l’égard des principes si rigoureux de la religion patricienne. Le Sénat répliqua qu’il ne s’opposait nullement à la rédaction d’un code, mais que ce code ne pouvait être rédigé que par des patriciens. On finit par trouver un moyen de concilier les intérêts de la plèbe avec la nécessité religieuse que le patriciat invoquait : on décida que les législateurs seraient tous patriciens, mais que leur code, avant d’être promulgué et mis en vigueur, serait exposé aux yeux du public et soumis à l’approbation préalable de toutes les classes.

  1. Tite-Live, III, 31. Denys, X, 4.
  2. Julius Obsequens, 16.