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CH. VII. LA PLÈBE ENTRE DANS LA CITÉ.

verons la liberté, là sera notre patrie[1]. » Et ils allèrent s’établir sur le mont Sacré, en dehors des limites de l’ager romanus.

En présence d’un tel acte, le Sénat fut partagé de sentiments. Les plus ardents des patriciens laissèrent voir que le départ de la plèbe était loin de les affliger. Désormais les patriciens demeureraient seuls à Rome avec les clients qui leur étaient encore fidèles. Rome renoncerait à sa grandeur future, mais le patriciat y serait le maître. On n’aurait plus à s’occuper de cette plèbe, à laquelle les règles ordinaires du gouvernement ne pouvaient pas s’appliquer, et qui était un embarras dans la cité. On aurait dû peut-être la chasser en même temps que les rois ; puisqu’elle prenait d’elle-même le parti de s’éloigner, on devait la laisser faire et se réjouir.

Mais d’autres, moins fidèles aux vieux principes ou plus soucieux de la grandeur romaine, s’affligeaient du départ de la plèbe. Rome perdait la moitié de ses soldats. Qu’allait-elle devenir au milieu des Latins, des Sabins, des Étrusques, tous ennemis ? La plèbe avait du bon ; que ne savait-on la faire servir aux intérêts de la cité ? Ces sénateurs souhaitaient donc qu’au prix de quelques sacrifices, dont ils ne prévoyaient peut-être pas toutes les conséquences, on ramenât dans la ville ces milliers de bras qui faisaient la force des légions.

D’autre part, la plèbe s’aperçut, au bout de peu de mois, qu’elle ne pouvait pas vivre sur le mont Sacré. Elle se procurait bien ce qui était matériellement nécessaire à l’existence. Mais tout ce qui fait une société or-

  1. Denys, VI, 45 ; VI, 79.